Il faut traiter le collaborateur comme un client

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Un des principaux challenges de la transformation digitale est l'alignement entre l'interne et l'externe ou, plus précisément, le fait que l'un inspire l'autre et que l'autre motorise l'un. Devant les nouvelles attentes des collaborateurs, fruits de l'évolution de la société d'une part et de sa digitalisation d'autre part, je vois quand même beaucoup d'entreprises rester dubitatives quant savoir jusqu'où aller et traduire leur pensée par « marre des collaborateurs qui se comportent comme des clients ».

Si je les rejoins sur le fait qu'il y a des limites à poser dans ce qu'on peut appeler la consumérisation du travail je pense au contraire qu'elles ont tort de blâmer ainsi le collaborateur aux attitudes de client.

L'entreprise a besoin d'exemplarité et de symétrie digitale

J'en ai déjà longuement parlé à propos de l'expérience employé voire de l'environnement de travail digital: si le collaborateur n'est pas exposé à l'expérience que l'on promet au client il n'est pas possible qu'il la lui restitue, pense et agisse en fonction. C'est aussi évident que cela : on ne sait faire et reproduire quelque chose qui n'est qu'un concept mais dont on n'a jamais vu et vécu la mise en œuvre. Question de (bon) sens.

C'est également une problématique d'engagement des collaborateurs. Si toute l'énergie, l'attention, les moyens vont vers le client et qu'on se contente du strict minimum à leur égard, qu'on ne leur donne pas les moyens de tenir la promesse faite au client, un fossé se creuse qui ne peut mener qu'au désengagement. Le collaborateur n'en peut plus d'être le parent pauvre de l'attention et des soins de l'entreprise.

Le collaborateur est triplement client dans son entreprise

Ensuite parce qu'on, qu'on le veuille ou non, la relation entreprise-collaborateur a profondément évolué ces dernières années et cela va encore s'accélérer. Lorsqu'on nous dit que dans l'économie de demain, digitale, « ubérisée », le travail devient une commodité, « on-demand », contingent, on ne peut pas ne pas en tirer les conséquences. Le collaborateur sait que l'emploi à vie est terminé depuis longtemps, il sait qu'à l'avenir il changera non plus d'entreprises plus souvent mais qu'il sera parfois amené à travailler pour plusieurs entreprises en même temps. Il sait aussi – et surtout – qu'il ne sera « activé » et payé que quand on a besoin qu'il fasse quelque chose. Un emploi non plus au temps mais à la tâche. Conscient qu'il devient un produit ou plutôt un service qu'on active, désactive, consomme et abandonne, sa relation avec son employeur devient également plus consumériste. Il sait que tout peut s'arrêter demain donc il optimise le deal du moment.

Aussi paradoxal que cela puisse sembler après ce que je viens d'écrire il est également en recherche de sens, d'une vision, du fameux « what do you stand for ». Il y a une vision et un projet à lui vendre, à lui expliquer, il faut le séduire et le convaincre sinon on aura une force de travail mais pas l'engagement qui va avec.

On est tous les clients de nos collègues

Le collaborateur est un client pour une autre raison : il est le client de ses collègues. C'est un sujet central quand on s'attaque aux problématiques organisationnelles, sachant que pour tenir sa promesse l'entreprise digitale devra être hautement innovante et réactive, ce qui implique une structure flux flexible, plate, moins hiérarchique et davantage de transparence et de collaboration.

Dans cette perspective ce qui pêche le plus est la collaboration adhoc : quand on collabore non pas parce qu'on est dans le cadre d'une activité structurée où l'on doit collaborer par définition et/où la collaboration est organisée mais quand on collabore de manière opportuniste en allant mobiliser une expertise quelque part dans l'entreprise pour résoudre un problème, profiter d'un retour d'expérience. On se heure souvent ici à un problème d'allocation stricte des ressources qui comme on le sait est un tue la collaboration alors que la collaboration devrait être un service que chacun offre à ses collègues. C'est une question de posture et de vision du travail : on ne considère pas ses collègues comme des clients internes et cela entraine d'importants blocages. Ce qui est vrai entre collègues est aussi vrai entre fonctions supports et collaborateurs.

Le client achète achète avec de l'argent, le collaborateur avec de l'engagement

J'entends souvent dire qu'il y a une différence majeure entre le collaborateur et le client : l'un achète, l'autre pas. Et ça justifie la différence de traitement. L'un doit être séduit parce qu'il achète, l'autre est soumis à un lien de subordination, il reçoit un salaire donc il n'a qu'à faire ce qu'on lui dit, accepter ce qu'on lui donne et faire avec.

Sauf que ça n'est pas vrai, ou plus aussi vrai que ça l'a été. Sur une chaine d'assemblage dans les années 50 ou avant pourquoi pas. Il n'y a qu'à répéter un mouvement à une cadence déterminée. Aujourd'hui alors que l'essentiel du travail relève du travail du savoir le facteur principal de qualité et de productivité n'est pas la force de travail mais l'engagement. C'est l'engagement qui fait qu'on passera une demi-journée ou 2h de plus pour arriver à un résultat. C'est l'engagement qui fait qu'on ira au delà des sentiers battus pour faire en sorte que quelque chose arrive au lieu de subir les événements en disant « c'est trop compliqué », « ça n'est pas mon travail d'aller jusque là après tout », « ça n'est pas possible ». C'est l'engagement des collaborateurs qui est également la clé dans une expérience client réussie aux points de contacts humains.

Si le client achète la promesse de l'entreprise avec de l'argent, le collaborateur l'achète avec une autre monnaie qui s'appelle l'engagement. Un client n'achète pas un produit si on lui dit « il est comme il est, c'est comme ça, paie ». Il en va de même pour le collaborateur, il a besoin d'autre chose.

Votre transformation digitale est un produit et a une promesse

La transformation digitale est avant tout un changement. Pour le client comme pour le collaborateur. Mais si le premier ne doit a priori qu'en subir les effets positifs et ne pas avoir à s'investir dans le changement, il en va autrement pour le collaborateur qui en subit en théorie les effets positifs (pas d'expérience client sans expérience employé) mais doit également en subit les effets négatifs. Le changement demande toujours un effort, vient avec des peurs et des incertitudes et finalement, des douleurs, aussi courte la phase transitoire soit-elle.

Je discutais il y plusieurs mois de manière informelle avec les pilotes d'un ambitieux projet de transformation digitale interne qui au fil des années apparait comme de plus en plus mal engagé avec ce que cela comporte d'attentes déçues puis de désengagement et enfin de défiance prévisible des collaborateurs par rapport au programme.

Je passerai sur le fait que nulle mention n'a jamais faite de l'impact du changement interne sur le client. Le changement auto-centré tourne toujours en rond faute de sens et on en a la preuve ici. Ni impact sur le client, ni sentiment d'urgence. Issue facile à deviner.

« A défaut de promesse faite au client susceptible de mobiliser les troupes en interne, existe-t-il une promesse faite aux collaborateurs à qui on demande un changement important ? » Regards interloqués. Pourquoi une promesse ? Le monde change, on s'adapte et il n'y a pas besoin d'en dire plus. Et bien visiblement oui. Même lorsque le sens des choses est évident encore faut il qu'il y ait un bénéfice individuel pour le collaborateur. En l'espèce il existait bien mais encore aurait-il fallu le formaliser, l'expliciter, le vendre.

Vers un marketing du changement

Le client achète avec de l'argent en fonction d'une promesse. Il en va de même pour le collaborateur avec de l'engagement mais encore faut il que la promesse existe.

En matière de conduite du changement on parle beaucoup de formation et de communication, soit, mais aujourd'hui, alors que les comportements de travail se consumérisent, il serait bon de pousser la logique un peu plus loin et de parler du marketing du changement. Le projet de changement doit répondre à un besoin, créer une expérience positive, avoir une marque et une promesse.

Un concept qui à mon avis tient la route même s'il souffre de deux limites. La première tient aux moyens. On n'a pas les moyens les marketer un projet interne comme on le fait pour un produit à destination du client. C'est une réalité mais c'est un tort car si le changement interne rate, le prix se payera un jour coté client. La seconde tient à une certaine philosophie du changement qui serait une matière noble à la différence du marketing plus mercantile. Celle-ci gagnerait à tomber rapidement et quand on voit ce que cela peut donner dans certaines cultures moins frileuses que la nôtre on réalise qu'un marketing massif du changement s'il ne résout pas tout contribue au moins à mettre l'entreprise en mouvement. Pour peu que le « produit » le mérite. Si j'étais DRH je solliciterai mon marketing à l'occasion pour voir ce qu'ils pourraient proposer. Juste comme ça.

Le collaborateur n'est quand même pas tout à fait un client

Il y a, je le concède, des limites à cette approche. La première, et pas des moindres, c'est qu'au final le collaborateur n'a pas le choix. Il y a un lien de subordination qui fait qu'au final il devra faire avec ce qu'on lui propose et accepter les règles. Il y a des contraintes légales qui font que la relation entreprise/employé n'est pas tout à fait la même que la relation entreprise client. Il y a également le fait que le client, même « connecté » et « social » reste un individu qui recherche une satisfaction individuelle alors que le collaborateur s'inscrit dans une logique collective. Il y a enfin un dernier paramètre et non des moindres : à l'inverse du client source de revenu, le collaborateur est un coût, ou est perçu comme tel.

Autant d'éléments qui pousseraient à traiter le collaborateur à l'ancienne vu qu'il s'inscrit dans un cadre plus contraint et qu'il l'a au final pas le choix. Mais c'est justement parce qu'il n'a pas tellement le choix qu'on s'est souvent contenté pour lui du service minimum en s'abstenant de travailler sur le sens et sur la forme, avec les effets que l'on sait sur le manque de sens et d'engagement.

Un test mené lors du dernier salon stratégie client a montré que seuls 53% des personnes pensaient que la satisfaction du collaborateur était aussi importante que celle des clients. La route est longue.

source : Bertrand DUPERRIN , http://www.duperrin.com


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jeudi 28 mars 2024